À lire en écoutant : Line of Fire – Junip

Angry Colère Vice Versa Psychiatrie Blog

Aujourd’hui, il s’est passé deux trucs exceptionnels.

Un psychiatre est revenu de vacances, et une femme a découvert qu’elle avait le droit d’être en colère. Mais on va se concentrer sur le deuxième événement. On va parler du droit de ressentir, qui va de soi pour beaucoup, mais qui ne vient pas forcément à l’esprit d’autres.

Mme Piton des Neiges avait trouvé le chemin de l’hôpital à l’aide de son médecin généraliste. Le genre de médecin qui répond présent dans des moments charnières de vie. Le maillon décisif face à la détresse qui démunit. Mme Piton des Neiges n’en pouvait plus. Trop de choses s’étaient accumulées. Et elle n’en pouvait plus de rien dire. Elle n’en pouvait plus de prendre sur elle.

Cette jeune femme avait l’allure de la femme active comme on se la décrit dans notre imaginaire collectif. Svelte, sportive, faisant attention à son alimentation, faisant attention à son allure. Hyperactive, présente sur tous les fronts. Une femme magazine. Femme parfaite, épouse de luxe, jeune mère idéale. Tout dans les clous. Jusqu’à veiller à respecter la bienséance, celle d’un milieu aux normes strictes dans lequel elle a appris à interagir. Sa chevelure blonde relevait un visage aux traits fins, saupoudrés de tâches de rousseur ravivant des yeux verts émeraude. Il aurait suffi d’y rajouter un sourire pour y amener une géométrie parfaite. Seulement le sourire n’était plus là. Voire il n’avait jamais authentiquement occupé son visage. Ses traits fins avaient surtout tendance à se durcir, pour y faire refléter une colère vive.

Mme Piton des Neiges a toujours été un volcan endormi. Face à sa mère, d’abord. Une mère qui se met en colère, mais seulement dans les cris, ou avec la violence de mots voire de gestes. Une mère qui décontenance. Une mère imprévisible, qui exige plus qu’elle ne demande. L’exigence du faire. Faire pour bien faire. Accompagnée de mouvements d’émotions intensément violents, menant aux cris en cas de colère, jusqu’à l’étreinte étouffante en cas de culpabilité.

L’enfant qu’était Mme Piton des Neiges ne savait plus où donner de la tête. Elle ne savait plus comment agir. Elle interprétait les mouvements d’étreintes affectueuses de sa mère comme de l’amour, jusqu’à penser qu’on ne pouvait aimer que dans l’intense, que seule la violence permettait l’interaction. Elle se tournait bien vers son père parfois, les yeux attendrissants, le corps écrasé par les bras de sa mère. « Est-ce bien comme ça qu’on aime, Papa? ». Mais Papa n’était pas là. Papa était malade. Et il ne pouvait pas s’interposer entre elle et sa mère.

Mais vint le jour où le volcan endormi allait vivre par lui-même. Sans la pression constante appliquée par ses parents. Le volcan allait vivre seulement avec la pression qu’il avait intériorisé. Alors Mme Piton des Neiges ne répondit plus qu’à ses codes moraux. Elle aima donc avec violence. En détruisant chaque homme qui croisait son chemin. Parce que c’est comme ça qu’elle avait appris à aimer. Elle en a aimé beaucoup. Jusqu’à trouver un homme qui arrivait à voir ce qu’il y a avait derrière la violence. Voir cette enfant écorchée qui ne demandait qu’à être aimée. Cet homme, elle le trouva. Un homme qui avait subi tellement de violences dans l’enfance qu’il ne percevait pas celle de Mme Piton des Neiges comme une violence gênante. Rien de bien méchant en comparaison à la torture constante d’un père sur son fils. Alors ça permet de voir autre chose de l’autre. De voir le positif, le sourire, l’affection.

Et puis est arrivé le moment où elle devint mère. Alors ses désirs se sont percutés. Celui d’être une bonne mère, sans trop savoir ce que cela voulait dire, et celui de déverser toute cette colère accumulée sur un être sans défense, complètement dépendant d’elle. Quelle drôle d’idée, se dirait-on. Et pourtant. Mme Piton des Neiges avait appris à exprimer sa colère, enfin. Alors elle n’allait pas se gêner. Le problème, c’est qu’elle s’exprimait par la violence. Et elle ne concevait pas qu’il existe d’autres outils pour partager cette émotion si intense et désagréable.

Et c’est bien ce qui m’a le plus marqué chez elle. Lors de nos rencontres, Mme Piton des Neiges pouvait me décrire sans broncher et en détails comment elle avait pu torturer son petit lapin étant petite. Comment elle avait détruit psychologiquement les hommes qui l’entouraient. Elle sortait des insultes par kilos, comme quelqu’un qui vient de découvrir un nouveau gadget et qui ne peut s’empêcher de l’utiliser frénétiquement. Et elle restait stoïque. Impassible. Contemplatrice d’une violence qu’elle ne voyait pas.

Alors après quelques séances où on avait appris à se connaître et se faire confiance, je lui ai sorti un truc dans le genre « je dois vous dire que je suis assez choqué… Je sens bien que vous êtes en colère, c’est sûr. Mais quand vous insultez vos proches parce qu’ils n’ont pas fait ce que vous souhaitiez, ou qu’ils ne correspondent pas à vos attentes, j’ai remarqué que rien de votre corps ne ressort. Comme si c’était un robot qui débitait ce pour quoi il était programmé. Comme si vous n’aviez plus conscience de l’impact de vos mots sur les autres. » Mme Piton des Neiges n’a pas tout compris de ce que je venais de lui dire. Je dois admettre que moi-même, je m’étais un peu perdu dans cette longue tirade. Alors j’ai essayé autrement :

« Si je vous dis que vous m’emmerdez, et que je préfère que vous sortiez maintenant, ça vous fait quoi? »

Après avoir dit ça, j’avais l’impression d’avoir sauté de 20 mètres dans un trou d’eau, et d’être à ce moment juste avant de toucher l’eau où tu te dis « pourquoi j’ai sauté en fait? ». Mais bon, la phrase était sortie, il allait falloir faire quelque chose avec.

Elle me répondit : « heu… Bah je vais sortir alors! »

J’essaie de rattraper la chose (parce que j’avais quand même une idée derrière la tête) : « Mais attendez, ça vous fait quoi? Vous ressentez quoi quand je vous dis ça? »

« Bah je me dis que vous êtes énervé, alors je sors! »

« Ça, c’est ce que vous pensez. Mais qu’est-ce que vous ressentez physiquement quand je vous dis ça? »

Rien. Comme si les millions de connexions qui relient son cerveau à son corps s’étaient fait la malle. Plus de réseau. Ou du moins, ça captait mal.

Elle ne voyait même plus les insultes ou les reproches qu’on pouvait lui faire. Son psychiatre l’insulte et elle ne trouve même pas ça bizarre. Ça donnait l’impression qu’elle ne vivait même plus la violence comme un danger, mais plutôt comme une base de relation.

Et pourtant, elle me disait avec fierté qu’elle arrivait enfin à exprimer sa colère, son désaccord, après des années de silence et de soumission. Mais j’avais du mal à distinguer ce qui était le pire, entre s’infliger une violence à soi, par le silence et la soumission, ou infliger des violences à l’autre parce qu’on est en colère. Y-a-t-il une franche différence?

Ça m’a rappelé mon adolescence. Ce moment étrange où nos émotions augmentent en intensité, où on découvre ces sensations physiques étranges, dont on ne sait pas trop quoi faire. Alors on fait comme on a vu, d’abord. L’imitation de nos parents, loin d’être un mythe, c’est même plutôt utile. Et puis on voit ce que ça fait. Pour soi, pour les autres. Et on s’adapte. Si on peut. Ou on reste adolescent. Pour le meilleur, mais surtout pour le pire. Pour ma part, j’étais plutôt l’adolescent qui voulait bien faire, pour ne pas décevoir. Mais aussi un adolescent avec un esprit de contrariété. Alors la colère, la violence, je l’ai vécue. Pour le meilleur et aussi pour le pire. Mais on s’en sort, je vous rassure. Il suffit de croiser les bonnes personnes.

Mme Piton des Neiges avait trop entendu qu’elle n’avait pas le droit d’être en colère. Peut-être aurait-il suffi qu’elle entende que ce droit de ressentir de la colère, elle l’avait. Mais qu’elle n’avait pas le droit d’être violente. Seulement parfois la société confond colère et violence.

Le droit d’exister est ce qu’il y a de plus vital dans la vie. Et le problème quand on dénigre le vécu émotionnel de l’autre, c’est qu’on lui fait comprendre qu’il n’a pas le droit d’exister. Et c’est alors que le volcan s’allume. Alors il est trop tard pour s’étonner.

2 réflexions sur “La Femme Volcan

  1. Très intéressant.
    On est tous des volcans en sommeils il me semble.
    Car on a tous une part de violence en nous.
    Alors comment on fait, heureusement il a le langage mais aussi la création qui peuvent
    Vraiment aider a canaliser cette souffrance. Grandir c’est un chemin mais parfois on ne sait plus quelle route prendre.

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  2. Merci pour cet article qui m’aide bien à comprendre comment le déni des émotions, ou l’empêchement de leur expression, ressort par la violence, des mots ou des gestes. Heureusement qu’on peut apprendre à démonter ces ressorts internes, et à exprimer la colère autrement !

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