À lire en écoutant : Docteur Renaud Mister Renard – Renaud
Aujourd’hui, il s’est passé un truc exceptionnel.
De l’énergie d’un homme est sorti le pire mais surtout le meilleur. Dr Renaud était un jeune homme plein de couleurs. Il aimait les gens. Il faisait partie des hypersensibles, ceux qui perçoivent les détails de la vie dans ce qu’elle a de plus beau et ce qu’elle a de plus tragique. Il avait le sourire malicieux et l’humour facile. Il aimait faire la fête, quitte à partir dans l’excès. Dans tous les cas, il adorait montrer qu’il aimait la vie.
Il partait voyager avec la même ferveur qu’un aventurier. Tout plein de pays. Et il avait aussi décidé qu’il consacrerait sa vie à aider celle des autres. Il serait médecin.
Il est alors facile d’imaginer qu’à cette vie pleine de poésie se greffait une personnalité de grand romantique, Le romantisme dans toute sa définition. Du Don Juanisme au tragique dévouement de soi. Aux étreintes sensuelles jusqu’aux conflits les plus acerbes. Dr Renaud était entier.
Son talent humain lui faisait rencontrer des tas de gens. Il se liait à l’autre avec une aisance déconcertante. Mais après tout, il aimait les gens. Alors les gens lui rendaient bien.
Evidemment, à ce tableau venait se fondre quelques traits imparfaits. Dr Renaud pouvait parfois se transformer en Mister Renard. La colère pouvait lui monter. Il ne la montrait pas pour autant, bien sûr. Il aimait trop les gens pour s’en opposer. Mais il vivait la colère. Une colère souvent si forte qu’elle venait alors s’abattre directement sur lui, à grand coup de « je devrais avoir honte de penser ça des gens » et de « je ne suis qu’un con ». Ce foutu mélange venait associer la tristesse à son désarroi. Alors le cocktail était fin prêt. La déprime pointait son nez.
Pendant longtemps, Dr Renaud s’était bien gardé d’en parler. Il réservait ce privilège à sa famille. Il aimait trop les gens pour prendre le risque de les attrister. Il était solide et courageux, Dr Renaud. Alors sa vie avançait, rythmée par de la joie entière et de la tristesse profonde.
Puis, comme dans toute vie de grand romantique, les péripéties firent place au noeud dramatique. Le genre de drame impossible à mettre en scène, ni même à pouvoir concevoir ou anticiper. Le genre de drame qui retire tout courage au plus grand des héros romantiques. Ce même drame qui a coupé le souffle du Dr Renaud, pour réveiller Mister Renard. Une perte humaine trop proche de lui pour ne pas lui enlever un peu de son âme, un peu de sa chair.
Dr Renaud a alors tenté de s’accrocher à toutes les branches qu’il a pu. Il est même allé voir des collègues psychiatres. Mais il n’arrivait plus à percevoir le romantisme de sa vie de la même manière. Le romantisme avait laissé sa place à la pensée cartésienne. Celle de Mister Renard. C’était parfois plus rassurant de chercher du sens dans la science que dans les ressentis, quand tout semblait lui échapper. Une science qui vient à la rescousse, comme mise à plat d’émotions trop intenses et ravageuses. Ça protège, des fois.
Bref. Dr Renaud n’allait plus. Mister Renard était trop. J’aurais d’ailleurs pu le recevoir en consultation celui-là, qui sait. Mais non. Les règles déontologiques me l’auraient empêché. Et plus que tout, mon amitié pour lui aurait tout entravé. Oui, je ne parle malheureusement pas d’un patient aujourd’hui.
Rien ni personne n’aura pu l’aider, apparemment. Il a donné ce qui lui restait d’énergie pour s’ôter la vie. Mister Renard l’avait mangé. La victoire au vilain Renard. Mais on aimera toujours Dr Renaud.
C’est étrange quand on le vit de l’autre côté. On se sidère, un peu. On se pose des questions. On pleure. On pense. On ressent. Et puis tout se mélange. Tous les réflexes professionnels acquis disparaissent. Hormis certains peut-être, comme celui de ne pas avoir peur d’être triste. Et puis on se retrouve avec tous les amis, avec la force de la vie, autour d’une boîte en bois qui fait mal. Une boîte en bois qu’on préférerait vide.
En réalité, il n’y avait pas une once de romantisme dans son geste. Juste de la souffrance intolérable. Une dépression trop profonde pour pouvoir retenir son souffle suffisamment longtemps. Et plus rien pour rendre cette réalité plus tolérable. Oui, la dépression tue.
magnifique
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Merci de votre lecture et de votre fidélité sans failles ! 🙂
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Extrêmement beau…et touchant. Si bien écrit aussi avec une plume particulière. Pensée affectueuse
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Merci Mi 🙂
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Très bel hommage à l’homme, à l’ami, à ce qui reste quand quelqu’un s’en va. Ce genre de départ est comme une marque au fer rouge. Quoi faire face à des détresses profondes ? Que Dr Renaud veille…
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Très bel hommage à l’homme, à l’ami, à ce qui reste quand quelqu’un s’en va. Ce genre de départ laisse comme une marque au fer rouge, que faire face à cette détresse profonde ? : Que Dr Renaud veille…
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Très beau et une perspective très intéressante sur le sujet. Je continue à suivre ce blog très intéressant.
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