À lire en écoutant : Edges of illusions – John Surman
Aujourd’hui, il s’est passé un truc exceptionnel.
Une jeune femme a pu retrouver son âme d’enfant. Et cette aventure n’a laissé personne indemne.
Mme Câlin approchait la cinquantaine. Elle rayonnait de joie, d’amour pour ses enfants. Chaque jour, elle prenait un soin tout particulier à s’apprêter. Maquillage, coiffure, vêtements, tout y passait. Puis elle partait entreprendre, former, créer, tout ce qu’elle aimait. Sa beauté et sa douceur enrobaient le quotidien de ses enfants, subjugués par cette femme scintillante.
Mais un jour, cette mécanique s’est enraillée. Les factures se sont accumulées, les achats aberrants se sont multipliés, son maquillage s’est envolé, avec un pyjama porté comme seul accoutrement. Mme Câlin n’allait plus bien. Les médecins ont pensé à une dépression, alors on l’a traitée, on l’a accompagnée. Mais rien n’y a fait. Alors elle est venue chez nous en hospitalisation.
Il était difficile d’imaginer le passé rayonnant de cette dame tant son allure avait changé. Elle avait pris une vingtaine de kilos, ses racines de cheveux grisonnantes laissaient penser qu’elle n’avait guère voulu prendre soin d’elle depuis plusieurs mois. Mais ce qui était le plus surprenant chez Mme Câlin, c’était son pyjama rose. Un pyjama d’enfant. Et son regard timide d’enfant. Et puis aussi sa voix d’enfant. Cette voix que prennent les tous petits quand ils ont fait une bêtise, ou quand ils vous racontent leur dernière aventure avec une grande frénésie. C’était très déroutant d’entendre une femme de cet âge parler comme ça sans gêne. A plusieurs reprises, elle m’a donné envie de rire, tant ses traits enfantins paraissaient exagérés. Ce côté pathétique tranchait beaucoup avec la souffrance qu’elle exprimait. J’étais perdu. J’ai croisé pas mal de personnes déprimées pourtant. Mais je n’avais vu quelqu’un se disant en dépression se comporter comme elle.
Mes collègues neurologues l’ont vu aussi. Ils la trouvaient très « théâtrale », qu’elle faisait un peu l’enfant, qu’elle cherchait à attirer l’attention. C’est vrai qu’en la voyant, on se serait cru devant une comédienne. Enfin, une mauvaise comédienne. Alors le diagnostic fourre-tout « Hystérie » est sorti. Tout ça pour dire qu’en réalité, tout le monde était un peu perdu.
En discutant avec elle, elle nous disait être en dépression, qu’elle achetait tout et n’importe quoi sans savoir pourquoi, qu’elle pouvait rester assise des heures sans rien faire. Et en même temps, elle nous montrait son émerveillement pour les petites choses de son quotidien. Sa passion récente pour les gâteaux, par exemple. Ou son envie incessante de sucrer tous ses plats, y compris la viande.
Face à Mme Câlin, pleins de choses se mélangeaient en même temps dans ma tête.
« Mais qu’est-ce qu’elle me raconte ? Elle se fout de moi ? Pourquoi voudrait-elle se foutre de moi ? Pourquoi je réagis comme ça ? Elle a pourtant l’air de souffrir… Mais elle a l’air complètement à l’ouest ! »
Et puis sa fille est entrée dans sa chambre. Ça m’a un peu ramené sur Terre. Mme Câlin se leva alors pour se jeter au cou de sa fille comme une enfant qui n’aurait pas vu sa mère depuis des semaines.
Ce que nous rapportera par la suite sa fille et les explorations faites nous amèneront à découvrir que Mme Câlin souffrait d’une démence rare. Le genre de maladie qui touche une partie bien précise de notre cerveau. Celle qui nous permet habituellement de jouer aux adultes. Alors quand on ne l’a plus, on agit presque comme un enfant. On peut se mettre à se balader tout nu. On peut avoir envie de manger compulsivement du sucre. On fait le gamin. Mais sans le vouloir. Et ce qui était particulièrement troublant chez Mme Câlin, c’est qu’elle en avait conscience. C’était peut-être d’ailleurs ça le plus difficile à constater chez elle. Voir qu’elle était consciente de devenir démente. Bien loin de l’hystérie, sa partie enfant avait pris le dessus sur sa partie adulte responsable. Et tout ça à cause d’une lésion dans son cerveau.
HUM, HUM !
Bonjour,
Intéressant cet article. Je ne peux pas m’empêcher de rétablir une pensée:
– C’est important de garder son âme d’enfant, ses rêves, ses potentialités, être en mesure de découvrir les choses sans a priori, et sans préjugé.
L’équilibre dans ce cas est tout à fait possible.
– Par contre, réagir comme un enfant quand on a largement passé l’âge , sans que l’expérience et la réflexion ne soient plus possiblement utilisés, malgré une « conscience » en arrière plan, est sans doute très invalidant.
En ce sens, le concept « d’équilibre » ne me parait pas possible.
( le yoga et la relaxation aident à supporter les « histoire tristes », que vous essayez de raconter avec humour )
Merci pour vos articles, que je lis toujours avec intérêt.
Angèle
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