À lire en écoutant : Smokey Joe’s La La – Googie Rene
Aujourd’hui, il s’est passé un truc exceptionnel.
Presque tous les patients que j’ai revu vont mieux. J’ai eu cette impression qu’on a parfois. L’impression qu’on sait ce qu’on fait, et qu’en plus ça marche. Alors je vais en parler, pour changer un peu.
La journée de consultation s’est déroulée tout en douceur. Aucun retard, ni de mon côté, ni de celui de mes patients. Mr LaPoisse a ouvert le bal. Il m’a expliqué avoir vécu un des plus beaux dimanches de sa vie récemment. Habitué aux déconvenues, le genre de poisse dont personne ne souhaite, son moral s’était érodé, au rythme de ses poussées de douleurs physiques. Des douleurs qui lui collaient à la peau. Il ne pouvait plus sortir de chez lui. Il n’avait plus envie de voir personne. « Le sort s’acharne » me disait-il, abattu par l’accumulation des problèmes qui découlent d’un tel état. On n’a plus la force de s’occuper de l’administratif, alors les dettes s’accumulent. Puis c’est la panne d’électricité. Puis le décès d’un parent. Pourquoi maintenant ? On ne le saura pas. Mais depuis les quelques semaines où l’on se voit, Mr LaPoisse a pu sortir la tête de l’eau. Quelques médicaments, pour l’aider à retrouver un peu plus de force et venir casser le cercle vicieux de la dépression et voilà qu’il a même apprécié un dimanche ensoleillé avec sa famille. Il me sourit et ça me fait du bien. Je lui dis. Pas la peine de garder tout ce positif pour soi dans ces cas-là. Surtout pas. Il repart confiant, j’espère que ça tiendra.
Mme Pipelette lui a pris le pas. Cette jeune retraitée qui s’était présentée toute souriante devant moi et chez qui j’avais découvert un quotidien empreint d’angoisses. Elle n’arrivait pas à s’occuper depuis avoir arrêté son travail. Elle avait l’impression de devenir inutile. Même son mari la rejetait, me confiait-elle. Elle se sentait dans l’impasse, figée dans son présent comme un lapin traversant une route et se retrouvant né à né avec une voiture à pleine allure. On avait trouvé de quoi lui faire traverser la route pour continuer tranquillement son chemin. Et après plusieurs mois, elle venait simplement me dire qu’elle avait retrouvé son autonomie, toute sa joie de vivre et son plaisir à partager ses histoires. Le genre de consultation qu’on souhaiterait avoir tous les jours. J’ai bien essayé de lui dire que j’étais ravi de la voir soulagée, mais elle avait beaucoup de choses à dire. Alors je me suis contenté d’un « bonjour » au début, d’un « vous voulez qu’on se revoit ? Sinon je vous laisse la liberté de me recontacter si nécessaire » au milieu, et d’un « au revoir » à la fin. Débordante de paroles, cette consultation. Mais gratifiante. Elle ne m’a pas dit merci pourtant. Mais ça me plait bien en fait. Quand les gens s’approprient à eux-seuls le fait d’avoir réussi à se relever. Objectif atteint. Pour l’instant.
L’après-midi a continué à défiler sur le même thème. L’une me dit avoir pu se saisir de nos échanges précédents pour renouer des liens avec ses enfants. L’autre m’explique le plaisir qu’il a retiré à s’offrir son après-midi, en osant dire non à son supérieur. En me précisant qu’il a même été encouragé dans ce sens, vu le bon travail qu’il effectuait. Bref, j’avais l’impression d’être dans un film, au début, quand tous les personnages se croisent en se faisant des blagues, des clins d’œil, des petites répliques de potes, tout en marchant d’un pas assuré, certains que rien ne va leur arriver de grave. Tout ça sur un fond de musique des années 60, avec des riffs de piano funk/soul entraînés par une rythmique endiablée.
Comme quoi chaque goutte d’eau contribue à faire un bel océan…difficile à imaginer au départ et pourtant…
Merci pour ce très beau témoignage.mi
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